mardi 30 avril 2013

Rotterdam 2013 - BrunoR


 
Marathon de Rotterdam
14 avril 2013

La décision… "forcée"
Le 4 novembre, je terminais le marathon de Rennes dans la souffrance. Souffrance physique mais aussi morale : Fini, terminé, j’étais épuisé. Pas de marathon avant au moins… un an. Et la saison de cross à venir, ben, je verrai bien, je ferai le minimum.

Quelques jours plus tard, le projet d’organiser un déplacement au marathon de Rotterdam germait dans l’esprit des copains du bureau de mon club. Les copains, ce sont des tenaces. Une fois lancés, on ne les arrête plus !
Trois semaines après le marathon de Rennes, le projet était lancé définitivement. Sans même me poser la question, j’étais de la partie bien sûr. Un déplacement en car, un marathon à l’étranger avec la bande de la JA Melesse, ça ne se refuse pas !
Bénédicte n’hésite pas non plus, elle est enthousiaste ! Mais « seulement » pour le 10 km organisé en parallèle du marathon.

Et les cross alors ? Là aussi, un peu de repos et les copains ont fait le reste. Une première dérouillée à Combourg, un léger mieux à Iffendic, j’étais prêt pour une nouvelle édition de notre championnat du monde à nous : Tango, Nico, le grand Barbu et Seb, le petit nouveau prêt à écœurer tout le monde.
Une fois de plus, les championnats départementaux nous auront permis de nous livrer une bataille épique. De celles qui créent des liens tellement forts et dont on parle au moins un an ! Surtout le vainqueur d’ailleurs, qui peut surfer sur son « titre » à chaque occasion.


J’ai vendu chèrement ma peau, mais cette année je n’ai pas été le patron. Le marathon vert a laissé des traces, dans le corps et dans la tête.
Malgré cela, au jeu de la qualification par équipe et des nombreuses défections, je me suis retrouvé au départ du « Championnat du Monde de Bretagne ». Je n’ai pas voulu laisser échapper une dernière occasion de courir en "Elite". 5 km en dernière position, au final j’ai quand même réussi à laisser 3 coureurs derrière moi, 1 de plus que l’an dernier.

Préparation minutieuse, comme toujours
Deux petites semaines et il faut attaquer la préparation marathon. La tête n’y est pas trop. Mais une fois encore, les copains m’emportent.
A commencer par Charlie, mon entraîneur et tellement plus que ça, qui est aux commandes. Que j’aime notre collaboration. Je lui fais entièrement confiance. Je ne cherche pas le pourquoi du comment, je ne discute pas : j’applique le plan ! J’enchaîne les séances, j’envoie les comptes-rendus, les courbes du cardio.
Alors que je passe des heures et des heures à établir des plans d’entraînement et à analyser les séances de mes coureurs, avec Charlie, je consomme. C’est un luxe que je m’accorde. Cela fait maintenant 7 ans que notre duo fonctionne, nous devons en être à presque 10 préparations de marathons ensemble. Nous avons tout connu, les records et les grosses claques. Mais quel que soit le résultat, j’ai toujours eu grand plaisir à suivre les "prépas".
Cette fois encore, même sans motivation démesurée, j’ai croqué dans la "prépa". Et comme les copains préparaient le même objectif, nous avons partagé de belles séances. Des sorties longues, des séances de vma presque à fond, des tours et des tours à mémoriser l’allure cible sur la piste des Gayeulles ou de Vern. Courir, partager, toujours le plaisir.

A une semaine de l’échéance, j’étais prêt. Serein, sans doute comme jamais. Cette fois, je ne tomberai pas dans le piège du stress avant la course.
Je n’ai rien à perdre. Ce marathon, je ne voulais pas le courir. J’y vais pour être avec les copains et profiter du weekend.

Las, chassez le naturel… Les derniers jours avant le départ, la pression monte. Insidieusement puis plus forte jusqu’à devenir difficile à contrôler.
J’ai peur. Malgré ma petite expérience du marathon, j’ai peur. Peur de souffrir, peur de revivre la même galère qu’au marathon de Rennes.
Cette pensée ne va pas me lâcher jusqu’au départ.

Ni les retrouvailles avec les copains, ni l’ambiance du groupe, ni mes tentatives de dédramatiser la course ne vont réussir à me détendre complètement.

 
Pourtant, presque tous mes amis coureurs sont là. Bénédicte profite pleinement du weekend. Nous redécouvrons la ville de Rotterdam. Nous y étions passés avec les enfants mais j’étais passé à côté de la beauté de l’architecture moderne des lieux. En revanche, je retrouve la douceur de la vie batave. Ici, le vélo est roi et les hollandais sont détendus. Nous n’avons jamais vu un village marathon aussi serein et des bénévoles aussi flegmatiques.

Samedi soir, tout le monde prépare ses affaires, accroche son dossard. J’aime ce rituel, d’autant que nous le partageons en groupe. La pression tombe sur les épaules de quelques-uns. Paradoxalement, je me sens un peu plus léger.
Jour J
Nous voilà au départ. Avec Alain et Thierry, nous cherchons la consigne. Comme des bleus, nous ne nous sommes pas renseignés la veille. La consigne est à l’opposé. Footing tranquille puis de moins en moins pour déposer notre sac et revenir dans la zone de départ à temps. La question de s’échauffer ne se pose pas, je suis chaud-bouillant !
Ca bouchonne à l’entrée du sas 3h-3h30. Je doute même de pouvoir rentrer.
Je réussi à ne pas m’énerver, je patiente. Ca avance. Mais je suis loin, très loin. En me faufilant un peu, je ne suis pas trop loin du meneur des 3h15. Ca ira.
Je profite quand même un peu de l’avant course. Grandiose ! Un chanteur monté sur une nacelle entonne « You never walk alone ». L’hymne des Reds de Liverpool. Autour de moi, tout le monde chante. C’est magnifique, j’ai des frissons.

Le départ
Le départ est donné au son du canon ! Je patiente, je m’applique à ne pas sortir de la course. Je suis plus loin que je ne pensais dans le peloton. Je suis obligé de slalomer entre les coureurs qui n’ont visiblement pas le même objectif que moi.
Je m’extirpe du peloton en passant sur les rails du tramway qui sépare la chaussée en 2. Je rattrape Thierry et Charlie et j’aperçois Yoann devant. Je ne suis vraiment pas dans le bon wagon.
J’écoute le conseil que Charlie m’a donné au passage : je m’installe dans ma bulle, sans me laisser perturber.
On monte le pont Erasmus pendant plusieurs centaines de mètres. Difficile de m’installer. Je double beaucoup : J’ai l’impression d’aller vite mais les temps au kilomètre me rappellent vite que je n’avance pas comme prévu. Je remonte tous les copains : JeanLou et le petit Patrice, Jilali, puis Serge d’Acigné. Je tourne à 5mn par kilomètre. Trop lent. Heureusement, après le pont, la chaussée s’élargit. Je prends les trottoirs et je parviens à m’installer. Je fais monter le cardio. Au passage au km5, j’ai plus d’une minute de retard. Je n’ai jamais été aussi lent à un départ de marathon. Mais le cardio est bas. Je me dis que c’est autant d’effort en moins, ça me servira en fin de course.

Km5 – Km 15 : la chevauchée fantastique
Après le stade du Feyenoord de Rotterdam, je suis enfin dans ma course. Cardio impeccable, même un peu bas. Le rythme est excellent. Je tourne comme lors des meilleures séances d’entraînement. A la faveur d’une grande épingle à cheveu, je rattrape Patrice et j’aperçois Jean-Daniel. Je lui lance un grand : « J’arrive ! ». J’avale le meneur des 3h15 puis je fonds sur JD.
Je me prends même à rêver : et si c’était mon jour ?
Je décroche JD et je reste facilement avec le groupe des 3h15. Le public est partout nombreux et nous encourage. C’est grisant. Au 14ème km, le premier tiers de la course est avalé en moins d’1h04. Petit calcul : je suis sur les bases de mon record. Et si c’était mon jour ?
Oubliées les belles résolutions de prudence. J’enchaîne les kilomètres

Mais, parce qu’il y a un mais, j’ai un petit coup de moins bien. Le ballon des 3h15 m’a repris et lâché. Je n’insiste pas, il est en avance. J’ai toujours un passage à vide vers le 15ème km. Je ne panique pas, j’attends que ça passe, ça va revenir.

Km 15 – Km 25 : le trou d’air
Je commence à avoir mal aux jambes. C’est tôt, beaucoup trop tôt. En quelques kilomètres, je suis passé d’un peu d’euphorie à une grande crainte. Est-ce que je ne vais pas revivre l’enfer du marathon de Rennes ?
La peur est revenue. La panique même n’est pas loin. Je freine, j’essaye de m’installer dans une allure de confort. J’ai presque renoncé à mon marathon.
La peur est là. Je vais revivre Rennes, 25 bornes d’enfer, un vrai chemin de croix !
Je ne pense qu’à mes jambes que je sens durcir. La tête a lâchée. Incroyable, en 3-4 km, c’est terminé du chrono : plus d’objectif sauf aller au bout. Sans marcher ! « Parce que si tu marches, t’es pas marathonien ». C’est quasiment devenu ma devise. J’en arrive malgré tout à douter de la suivre.

Heureusement, je me reprends. Penser positif. Je suis à une allure confortable. Physiquement, je ne souffre pas, pas encore. Je pense à tous ces entraînements, à la sortie longue avec les copains : 27 km avalés presque avec aisance. Je ne vais pas craquer après moins de 20 !
Je pense à ceux qui aimeraient avoir mal aux jambes mais qui ne peuvent pas courir. Profiter du moment, ne pas gâcher ma chance, c’est là qu’est la clé.
Peu à peu, la peur s’est dissoute. C’est une telle fête dans les rues que ce serait dommage de passer à côté.

Mon voyage intérieur m’a aidé. Le semi est passé en 1h37. Je sais que je vais ralentir, mais j’arrive à ne pas m’en préoccuper. Peu après, je suis repris par Jean-Daniel et Patrice. Ils m’encouragent. Jean-Daniel essaye longuement de m’emmener, mais je le laisse filer. Dans ma tête, la course est finie, je ne veux pas me mettre en souffrance. Pas déjà, pas aussi tôt.

Km 25 – Km 30 : Ca repart
J’avais repéré le panneau du km 25 la veille. Il est au pied du pont Erasmus que nous empruntons en sens inverse du départ. Retour vers le centre-ville. Il y a beaucoup de spectateurs. Il fait beau, le public est enthousiaste. Je ralentis dans la montée et je relance un tout petit peu dans la descente.
Pour la première fois depuis 10 km, je remarque que je ne me fais plus trop doubler. Je commence même à reprendre quelques coureurs.
Je suis dans le flux. C’est bon pour le moral. Inévitablement, je fais le parallèle avec Rennes où j’ai eu l’impression de me faire doubler pendant toute le 2ème semi.
A Rennes, au 24ème j’avais démissionné du marathon, j’étais passé en footing, juste pour finir. Aujourd’hui j’ai ralenti mais pas abdiqué. Je commence à revivre mon marathon.
Le public est encore plus dense, nous sommes à 2 pas de l’auberge de jeunesse. J’aperçois un groupe de filles du club qui ont terminé le 10 km. Elles sont euphoriques, leurs encouragements font du bien. J’aperçois aussi Olivier qui a visiblement abandonné. Je n’envisage même pas une seconde d’en faire de même. Je suis de retour, je suis marathonien ! Je ne lâcherai pas.
Nous passons sur la zone de départ qui est aussi la zone d’arrivée. Très grosse ambiance. Les sonos crachent de la techno à fond, le public est en folie. Les kilomètres défilent vite.
A la faveur d’un passage en épingle à cheveu, j’aperçois JD. Une fois passée un tunnel assourdissant (Au moins 20 batteurs tapent sur des tambours), je suis à sa hauteur. « J’ai explosé, la fin va être très longue » me dit-il. Voilà qui achève de me relancer. Je ne pense pas à la fin, je suis dans mon marathon, je vais me battre !
D’autant que nous longeons la course en sens inverse, ça me distrait. Je regarde la tête de course en face. Je guette les copains du club.
Rapide calcul : c’est un peu trop tôt. Juste avant que nos chemins se séparent, j’aperçois Frankie ! Je l’encourage fort. Il est dans le dur, il n’a pas la force de me faire signe. Je passe le km30.

Km 30 – Km 39 : Je suis marathonien
Nous voilà seuls, la route entre dans un bois. Le public est plus clairsemé mais toujours motivé.
Retour dans ma bulle, je suis seul avec moi-même. Enfin, seul, je double maintenant bien plus que je ne suis doublé. C’est grisant. Je repère des coureurs (enfin, souvent des coureuses, je l’avoue) au loin et je les rattrape petit à petit.
Il y a pas mal de coureurs aux postes médicaux. C’est qu’il commence à faire chaud. C’est le printemps, j’aurai aimé qu’il attende un jour de plus pour arriver. Je fais toujours le parallèle avec le marathon de Rennes : Km 30 : je suis mieux ! Km 32 : je suis encore bien, rien à voir avec ma dérive 5 mois plus tôt !

Au km 33, virage à droite à 90° : mauvaise surprise : le vent de face ! Là encore, voilà qui me ramène 5 mois en arrière, Plaine de Baud. Mais cette fois encore, la comparaison s’arrête là : je suis encore dans le marathon. J’ai même du plaisir à être ainsi dans la bagarre avec moi-même. Avec mes jambes qui souffrent et la petite voix, tout au fond qui me dit que je pourrais m’arrêter. Cette fois, les pensées négatives restent discrètes ! Non je n’arrêterais pas et je ne ralentirais pas non plus.
La fête est trop belle. Le public se fait de nouveau plus nombreux, on passe dans les quartiers qui jouxtent le bois. C’est très chaleureux, tout le monde est descendu encourager les marathoniens. Plusieurs fois, je remarque des familles qui ont prévu un stock d’oranges ou de bananes et qui les distribuent aux coureurs.

Loin devant, j’ai repéré le maillot rouge de Patrice. Je me rapproche petit à petit, jusqu’à le rattraper. Je lui lance « Ca me rappelle une sortie longue il y a 3 semaines ». Déjà il m’avait lâché et j’étais revenu sur la fin. Après quelques mots, je file.

Km 35, 36, 37. Je suis dans le dur, je pioche un peu. Mais je ne subis pas. Dans la souffrance, il y a un plaisir immense. Je suis dans la course, pas à côté à constater ma dérive comme à Rennes.
J’attends avec impatience le km 39, quand nous retrouverons la course en sens inverse.
Plus que 5. Dans moins de 30 mn, je serai arrivé. Je m’accroche. Le public redevient dense, gagne sur la route, l’ambiance monte. Quelle chance d’être là !

Virage à gauche : Km 39, Voilà, j’y suis. Je comprends pourquoi Frankie était dans le dur : on reprend le vent de face !
Dix mètres devant moi, encore un maillot de la JA ! Alain, complètement à la dérive. Je le voyais si fort à l’entraînement, tellement à l’aise. J’ai de la peine pour lui. Je le prends par les épaules. « Je comprends ce que tu as vécu à Rennes » me dit-il. J’imagine sa détresse.

Km 39 – Arrivée : Grandiose
 
Allez, plus que 3 km. Bien sûr, j’aimerai que ça s’arrête là, mais j’ai connu tellement pire. Je fais la paix avec le marathon. C’est dur, mais j’en suis capable. J’en courrais d’autres des marathons, pleins.
Je croise les meneurs des 4h30. Je n’ai pas le droit de me plaindre, j’ai presque terminé, il leur reste plus de 12 km.
J’accélère peu à peu. Km 40, 3h12, le temps de mon record. Là il me reste encore 2 km. Ce n’est pas grave, j’irai le chercher un autre jour.
Juste après, Bénédicte est là avec Françoise. J’ose même un sourire.
J’accélère encore. Il reste quoi ? 5 tours de piste. Je vais avaler ça.
41. J’attaque le dernier. Encore un groupe de supporters, je reconnais Pierrick et Maël.
Les organisateurs ont eu la bonne idée (certains apprécieront moins) de marquer au sol le décompte final : 1000m (je pense à Thierry à Cheverny), 500m, 400, 350, 300, …
Virage à droite : Dernière ligne droite. Les sonos sont à fond, le public hurle. J’ai les poils qui se dressent. J’ai même quelques larmes d’émotion.
 
Tout à coup, sorti de nulle part, Lolo m’attrape par le cou. Il met le feu au public. Punaise, quel final ! Je ne touche plus terre. C’est certainement une de mes plus belles émotions de sportif.
A 50m de l’arrivée, Lolo disparait comme il était venu. Je passe la ligne : 3h23’30’’ ! J’apprendrais plus tard qu’il a fait le show pendant 15mn avant de passer l’arrivée.

Je suis marathonien ! Je suis fier. J’ai vaincu ma peur, j’ai fait la paix avec la distance. Nous nous reverrons ! Je reviendrai à Rotterdam, profiter de cette ambiance !

Le meilleur reste à venir : retrouver les copains. J’attends Alain, il le mérite, je sais ce qu’il vient de vivre.
Nous serons rejoints par Thierry, mon pote, mon frère qui est heureux comme un gosse de simplement terminer. Le chrono ? Une autre fois. Nous sommes heureux et fiers !

A l’auberge à l’heure de la bière, au micro dans le car sur le trajet du retour, tout le monde est heureux. Peu ont battu leur record. Certains ont vécu l’enfer. Pourtant nous sommes tous ensemble, heureux d’avoir partagé une course extraordinaire. Personne pour faire la tête en regrettant une course ratée.
La course à pied est un sport d’équipe. Et je suis fier de mon équipe ! C’est un privilège de vivre ces moments !
Ces 3 jours vont durer des semaines, des mois dans nos souvenirs. On en parlera au stade, à boire une bière en terrasse aux beaux jours et même aux « goûters de la JA », dans la boue après les cross.

Avis aux absents, on parle déjà de remettre ça, peut-être à Amsterdam, dans 1 an et demi. Sûr que ceux de Rotterdam viendront ! Il paraît même que ma chérie se laisserait tenter par un marathon…

Bruno – Nouvoitou – 29 avril 2013